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List of compositions by Robert Cornman

 

 

Robert CORNMAN

Catalogue des oeuvres

 

11b

Chants Malgaches - 5 chants pour voix moyenne, flûte, basson et piano,
sur des poèmes de Jean-Joseph Rabearivelo, extraits du cahier Traduit de la nuit.

 

Écrite à Paris entre mars et septembre 1955, la partition des Chant Malgaches a connu au moins trois exécutions, toutes sous la direction de l'auteur, Robert Cornman. La création mondiale semble avoir eu lieu en Suisse à Radio Sottens en 1965 ou peu après ; elle a ensuite été interpétée aux Etats-Unis (décembre 1981) par Ben Holt, baryton, dans le cadre de la manifestation "Meet the Moderns" du Brooklyn Philharmonic Orchestra (soirées à l'Academy of Music à Brooklyn et à Cooper Union, NYC). Plus tard, en 1984, cette oeuvre a été enregistrée puis diffusée par Radio Genève, chantée par Nicole Rossier-Maradan (mezzo-soprano).

Documents disponibles :

Partition manuscrite photocopiée (43 pages)

Partition manuscrite (34 pages)

Document sonore : Chants Malgaches, par Nicole Rossier-Maradan (mezzo-soprano), orchestre de Radio Genève, direction Robert Cornman (13')

Ici, le texte des 5 poèmes tirés de Traduit de la nuit et rassemblés dans les Chants Malgaches

 

 

 

 

 

 

Texte des 5 poèmes tirés de Traduit de la nuit et rassemblés dans les Chants Malgaches de RC

Entre crochets, la numérotation adoptée pour l'édition de la bibliothèque malgache électronique : www.bibliothequemalgache.com/doc/BME37.doc
La date après chaque pièce est celle qui figure sur la partition manuscrite photocopiée.

1 [2]

Quel rat invisible,
Venu des murs de la nuit,
Grignote le gâteau lacté de la lune?
Demain matin,
Quand il se sera enfui,
Il y aura là des traces de dents sanglantes.

Demain matin,
Ceux qui se seront enivrés toute la nuit
Et ceux qui sortiront du jeu,
En regardant la lune,
Balbutieront ainsi:
« À qui est cette pièce de quat’sous
Qui roule sur la table verte? »
« Ah! ajoutera l’un d’eux,
L’ami avait tout perdu
Et s’est tué! »

Et tous ricaneront
Et, titubant, tomberont.
La lune, elle, ne sera plus là:
Le rat l’aura emportée dans son trou.

Paris, le 6 mars 1955

2 [3]
La peau de la vache noire est tendue,
Tendue sans être mise à sécher,
Tendue dans l’ombre septuple.

Mais qui a abattu la vache noire,
Morte sans avoir mugi, morte sans avoir beuglé,
Morte sans avoir été poursuivie
Sur cette prairie fleurie d’étoiles?
La voici qui gît dans la moitié du ciel.

Tendue est la peau
Sur la boîte de résonance du vent
Que sculptent les esprits du sommeil.

Et le tambour est prêt
Lorsque se couronnent de glaïeuls
Les cornes du veau délivré
Qui bondit
Et broute les herbes des collines.

Il y résonnera,
Et ses incantations deviendront rêves
Jusqu’au moment où la vache noire ressuscitera,
Blanche et rose,
Devant un fleuve de lumière.

Paris, le 20 mars 1955

3 [10]
[...]

Te voilà,
debout et nu!
Limon tu es et t’en souviens;
mais tu es en vérité l’enfant de cette ombre parturiante
qui se repaît de lactogène lunaire,
puis tu prends lentement la forme d’un fût
sur ce mur bas que franchissent les songes des fleurs
et le parfum de l’été en relâche.

Sentir, croire que des racines te poussent aux pieds
et courent et se tordent comme des serpents assoiffés
vers quelque source souterraine,
ou se rivent dans le sable
et déjà t’unissent à lui, toi, ô vivant,
arbre inconnu, arbre non identifié,
Qui élabores des fruits que tu cueilleras toi-même.

Ta cime,
dans tes cheveux que le vent secoue,
cèle un nid d’oiseaux immatériels;
et lorsque tu viendras coucher dans mon lit
et que je te reconnaîtrai, ô mon frère errant,
ton contact, ton haleine et l’odeur de ta peau
susciteront des bruits d’ailes mystérieuses
jusqu’aux frontières du sommeil.

Paris, le 5 juillet 1955

4 [17]
[...]

Le vitrier nègre
dont nul n’a jamais vu les prunelles sans nombre
et jusqu’aux épaules de qui personne ne s’est encore haussé,
cet esclave tout paré de perles de verroterie,
qui est robuste comme Atlas
et qui porte les sept ciels sur sa tête,
on dirait que le fleuve multiple des nuages va l’emporter,
le fleuve où son pagne s’est déjà mouillé.

Mille et mille morceaux de vitre
tombent de ses mains
mais rebondissent vers son front
meurtri par les montagnes
où naissent les vents.

Et tu assistes à son supplice quotidien
et à son labeur sans fin;
tu assistes à son agonie de foudroyé
dès que retentissent aux murailles de l’Est
les conques marines-
mais tu n’éprouves plus de pitié pour lui
et ne te souviens même plus qu’il recommence à souffrir
chaque fois que chavire le soleil.

Paris, le 24 août 1955

5 [29]

Il est une eau vive
qui jaillit dans l’inconnu
mais qui mouille le vent
que tu bois,
et tu aspires à sa découverte
derrière ce roc massif
détaché de quelque astre sans nom.

Tu te penches,
et tes doigts caressent le sable.
Soudain tu repenses à ton enfance
et aux images qui l’ont charmée-
surtout à celle où ces mots naïfs mais étonnants se trouvaient:
« La Vierge Aux Sept Douleurs. »

Et voici une autre eau vive
qui ne cesse de sourdre sous tes yeux,
mais qui attise ta soif:
ton ombre
-l’ombre de tes rêves-
devient septuple
et, émergeant de toi,
alourdit la nuit déjà dense.

Paris, le 15 septembre 1955