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Un instrument pour les archives sonores,
l’Archophone, premier appareil pratique
pour la sauvegarde des cylindres phonographiques.

 

L'utilisation d'un phonographe ancien pour restituer les sons enregistrés sur cylindres peut causer des dégâts irrémédiables à ceux-ci, qui étaient prévus à l'époque pour résister à un nombre limité d'auditions. Aujourd'hui, il convient d'utiliser un appareillage approprié, pour sauvegarder les contenus enregistrés. L'Archéophone est la solution technique retenue par plusieurs institutions de renom:

- Maison de la Radio, Paris
- Museo Nacional de Ciencia y Tecnologia, Madrid
- Bibliothèque Nationale du Canada, Ottawa
- Belfer Archive, Syracuse, New-York (deux exemplaires)
- University of California, Santa Barbara
- University of Chapel Hill, North Carolina
- Edison National Historical Site, West Orange


L'Archéophone, lecteur universel de cylindres phonographiques,
avec ses principaux accessoires.

Le texte suivant est tiré de la Revue du Musée des Arts et Métiers, n°27, juin 1999. Version adaptée et enrichie en 2003.

La Belle Epoque a produit par millions des enregistrements sonores sous forme de cylindres phonographiques de cire. C’est aux Etats-Unis, où est née l’industrie phonographique, que l’on en a produit le plus. Plusieurs pays industrialisés d’Europe, notamment l’Allemagne et la Belgique en ont également fabriqué un grand nombre. En France, la seule usine Pathé a produit de 1900 à 1910, entre 30 et 45 millions de cylindres. De cette production massive, il ne subsiste qu’une part infime. C’est que les cylindres sont très cassants et sujets à plusieurs types de dégradation typiques des matières organiques et des matériaux composites. Il ne reste en France que quelques milliers de documents exploitables aujourd’hui.

De cet état de fait, il résulte une indispensable sauvegarde de ces documents sonores qui sont parmi les plus anciens. Cette sauvegarde s'articule au moins en trois points essentiels: la collecte, la conservation, la copie droite.

Pour la collecte, beaucoup d’institutions publiques ont conservé un grand nombre de documents jusqu’à nous. Nombre d’amateurs particuliers en ont également trouvé, qui seront peut-être un jour accessibles, mais il reste à identifier un grand nombre de petites collections qui existent dans des musées et bibliothèques en province. Beaucoup d’enregistrements sonores d’importance sont ainsi recherchés, sur la foi de documents écrits qui en donnent la trace: ainsi en est-il des cylindres privés d’Auguste Rodin, d’un reportage sonore effectué en Egypte par l’éditeur de musique Achille Lemoine, ou des enregistrements effectués à l’Académie des Beaux-Arts par Charles Gounod et l’astronome Janssen en 1889, ou encore des cylindres du Graphophonoscope d’Auguste Baron.

Il reste beaucoup à faire dans le domaine de la conservation, car on ne sait pas toujours distinguer parmi les dégradations, celles qui sont dûes à des moisissures, de celles qui seraient dûes à une instabilité des composants (perte d'homogénéité de la matière, avec "résurgences" de produits chimiques en surface affectant le sillon, ressemblant à s’y méprendre à des moisissures). De même, on ne sait toujours pas quelles sont les causes précises de la dégradation des cylindres, tout en admettant qu'un taux d'humidité assez réduit ainsi qu'une température stable sont les meilleures conditions de conservation.

Le travail présenté ici a été fait dans le but de combler le troisième élément, le plus important peut-être, de cette politique de sauvegarde. Celui qui consisterait à recopier, pendant qu'il en est encore temps, le contenu sonore des cylindres anciens, sur des supports modernes, numériques ou analogiques. Le problème de la copie est le même, quoique moins crucial, pour les disques du début du siècle: ceux-ci se conservent mieux, et il existe un grand nombre de tables de lecture pratiques.

Une réaction spontanée aurait été de penser qu'il suffit, pour obtenir une restitution fidèle, de jouer le cylindre sur l'appareil d'époque pour lequel il était prévu. Ce moyen tendrait à restituer les conditions d'audition de l'époque. Mais cette idée est illustoire pour plusieurs raisons: d'abord le fait qu'enregistrer, pour le sauvegarder, un son qui sort d'un pavillon, pose des problèmes majeurs de prise de son. Le résultat obtenu est fatalement affecté de phénomènes de réverbération, sorte d'écho que le microphone enregistre, et qui brouille quelque peu le message sonore, écho que l'oreille humaine sait évacuer à l'audition directe, mais qu'elle ne sait pas filtrer d’une séquence enregistrée.

En outre, le microphone enregistre le bruit mécanique du phonographe lui-même qui, s'il ajoute au charme ainsi qu'à un certain sens de l'authentique, n'en affecte pas moins le message sonore. De plus, lorsqu’ils sont disponibles, les appareils d'époque, loin d'être des horloges de précision, ajoutent du pleurage, du scintillement, tous défauts que l'on se doit de limiter.

Enfin, et c'est là le plus grave, le phonographe, avec son lourd diaphragme reproducteur des sons, qu'il soit porté par un bras de lecture, ou directement attaché au pavillon, altère le sillon à chaque audition, d'une façon irrémédiable si bien qu'une cinquantaine d'auditions, même si elles sont effectuées avec les plus grands soins, rendent certains cylindres inaudibles. A cet égard, on peut affirmer que le pire ennemi du cylindre (il en est d'ailleurs de même pour le disque), c'est le phonographe! Dès la première audition sur appareil d’époque, on distingue en effet de la matière du cylindre (ou du disque) proprement labourée, sous forme de microscopiques copeaux qui adhèrent à la pointe mousse du diaphragme-lecteur.

Certains bras de phonographes exercent une force qui équivaut à 100 grammes, concentrés sur les deux flans du sillon en cours de lecture. On veut obtenir au contraire une lecture avec une force d’appui beaucoup plus faible, qui aura pour effet de limiter les frottements et donc l’usure du document. On comprend dès lors que la solution de la transcription des cylindres ne passe pas par l'emploi des appareils d'époque, qui n'en resteraient pas moins de valables sujets d'étude au point de vue des caracéritiques acoustiques. S'il faut éviter la prise de son par microphone, la solution passe par une lecture électrique directe, c’est à dire une lecture qui transforme la modulation du sillon en signal électrique amplifiable.

A l'ère du laser, la solution la plus logique serait celle d'une lecture du sillon sans aucun contact, au moyen d'un faisceau lumineux réfléchi au fond du sillon. Cette idée est en butte à de nombreux problèmes, outre celui des moyens financiers. Les matières des cylindres, font de leurs sillons de médiocres réflecteurs de lumière. Considérant de plus qu'il existe une infinité de couleurs de cylindres, de compositions, ainsi que plusieurs largeurs de sillons, on comprend qu'il faudrait un faisceau lumineux d'une extrême précision, et muni d'une très grande flexibilité de réglages, pour s’adapter à tous les indices de réfraction. Ajoutons à cela le fait que beaucoup de cylindres ne sont pas absolument ronds, ils sont souvent ovalisés ou déformés, et présentent des tolérances gênantes à une lecture normale, peut-être insurmontables à une lecture optique asservie

Les conditions d'une bonne lecture:
Le problème technique majeur est l’hétérogénéité des modèles. Certains cylindres ont un pouce de diamètre (25,4mm), d'autres font un peu plus de 12 cm de diamètre. Les longueurs variant de 2 à 28 cm! Le pas des sillons est également très variable. Certains cylindres n'ont que 7 spires au cm, d'autres plus de 20 spires. Enfin, tous sont plus ou moins déformés. Tous ces points soulèvent trois types de problèmes de lecture: le suivi de piste, ou déplacement latéral du bras; la gamme des vitesses; la tenue en piste, ou constance d’adhérence au sillon.

Le suivi de piste:
La plupart des appareils d'époque, outre la rotation du cylindre, fournissent, par le moyen d'une vis-mère portant un chariot, le déplacement latéral du système de lecture le long du cylindre. Parfois c'est le contraire: le cylindre tourne et se déplace lentement sous le système fixe de lecture. Dans les deux cas, la vis-mère qui déplace un élément, est du même pas que le cylindre destiné à être lu, ou du moins elle est actionnée à une vitesse qui permet d'atteindre une vitesse optimale du déplacement latéral. On comprend dès lors le problème de l'incompatibilité entre les cylindres. Le cas le plus connu est celui des deux formats de sillons Edison. Il existe, dans la dimension dite "standard" (diamètre 55 mm, longueur 100 mm), des cylindres d'une durée de deux minutes. D'autres cylindres "standard" ont un pas deux fois plus fin et durent, à une même vitesse de rotation, quatre minutes. Certains lecteurs Edison tardifs sont donc dotés d'un débrayage qui permet de ralentir dans un rapport de 2 à 1 la même vis porte-chariot, afin de lire les deux types de cylindres, avec deux têtes de lectures interchangeables, munies chacune de la pointe adéquate.

L’archéophone est muni d’un dispositif électronique qui commande la déviation du bras et adapte son mouvement latéral automatiquement, au rythme du sillon. Cet asservissement de la déviation est procuré par le jeu d’un obturateur mobile entre une source de lumière et deux cellules photo-électriques, qui commandent l’alimentation du moteur porte-bras. C’est le principe inventé en 1968 par Pierre Clément. Pierre Clément se spécialisa d'abord dans la construction de têtes de gravure électriques. Il est surtout connu en tant que créateur de nombreux modèles de tables de lecture ou "platines". Il fut longtemps le principal fournisseur de l’ORTF en la matière).

 
Pierre Clément (1906 - 1970) dans son atelier.
Photo aimablement communiquée par M. Raymond Bernard.

L'asservissement optique de Clément, qui équipa tout d'abord ses mythiques modèles A1 et A1B, fut retenu dans presque toutes les platines tourne-disques à bras tangentiel construites depuis. Ce système permet de lire les cylindres avec une force d’appui très faible, située entre 1 et 3 grammes en pratique.

(Pour en savoir plus sur les platines à bras tangentiel A1 et A1B cliquer ici)

La tenue en piste et la gamme de vitesses:
Ces deux paramètres sont étroitement liés, puisqu’ils mettent à l’épreuve l’inertie du bras de lecture, qui doit vaincre le paradoxe suivant: suivre sans déraper une modulation microscopique au fond d’un sillon qui présente un balourd de plusieurs millimètres, à une vitesse de rotation rapide (de 90 à 190 tours-minute), avec une force d’appui la plus faible possible.

En effet, la matière d’un cylindre, qu’il soit de cire ou de celluloïd, est souvent déformée, ce qui provoque une excentration, et donc un balourd à la rotation. Le cylindre ne tourne pas rond, ce qui cause un pleurage à la lecture, ainsi que des erreurs dans le suivi de piste. En un mot, le bras saute sur les bosses. Des excentreurs placés de part et d’autre de l’axe de rotation du cylindre doivent permettre d’ajuster la surface de lecture de celui-ci, de façon à la rendre constante et à réduire ainsi le pleurage. Par ailleurs, une solution pratique pour assurer le suivi de piste des cylindres les plus déformés, et diminuer donc les forces d’inertie qui pourraient faire déraper le bras, consiste à diviser la vitesse de lecture par deux, en vue d’enregistrer le document sur une bande magnétique que l’on jouera ensuite deux fois plus vite.

L’Archéophone, prenant en compte de telles exigences, répond à toutes les conditions d’une bonne lecture et permet ainsi une trascription rationnelle du contenu sonore sur supports modernes. Le moteur qui entraîne le cylindre par courroie peut tourner de 40 à 250 tours, et un tachymètre à affichage numérique permet d’apprécier la vitesse exacte de rotation.

Henri Chamoux

 archeold.jpg (13564 octets)
L'Archéophone, lecteur universel de cylindres phonographiques, dans sa première version en 1998

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Quelques informations sur les platines Clément à bras tangentiels modèles A1 et A1B

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1998-2008, l'Archéophone a 10 ans - hommage à Pierre Clément

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